Le 15 Juillet 2024
Dès ses débuts, l’entreprise Les Délices du Lac-Saint-Jean s’est dotée d’une mission de développement durable. On voit trois des dirigeantes de l’entreprise : de la gauche, Marie-Michelle Théberge, comptabilité et gestion ; Lisette Paré, chargée de projet et conseillère en vente ; et Émilie Gaudreault, marketing, vente et développement des affaires. (Crédit photo : Charles Olivier B.)
Une belle bleueterie acadienne au Québec
Le Canada est le plus important producteur et exportateur de bleuets sauvages au monde. La presque totalité de cette manne bleue est récoltée dans trois provinces, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. (L’est de l’Île-du-Prince-Édouard en produit également une belle quantité, mais les volumes ne se comparent pas.) Plus de 90 pour cent de toute cette production s’en va à l’exportation presque directement du champ.
Mais il se trouve, au Lac-Saint-Jean, au Québec, une jeune productrice acadienne, Émilie Gaudreault, qui a décidé de se lancer dans la transformation de ce fruit, d’en faire beaucoup et de le faire bien. Son histoire est des plus inspirantes.
La propriétaire s’intéresse aux bleuets depuis son plus jeune âge. Elle est réellement tombée dedans dès l’enfance. Son père comme son grand-père étaient des producteurs de bleuets. C’est à l’âge de 15 ans qu’elle achète sa première bleuetière. Une toute petite parcelle, à peine deux acres, achetées avec l’argent des ventes de bouteilles vides, de livraisons de circulaires et de gardiennage d’enfants. Dès cette époque, nait chez Émilie Gaudreault le désir de donner de la valeur à ses bleuets.
Il lui faudra 10 ans plus pour que son rêve se réalise. C’est en 2014 qu’Émilie Gaudreault achète les Délices du lac, une petite confiturerie qu’elle installe à Albanel, une municipalité d’à peine 2300 habitants au nord-ouest du Lac-Saint-Jean. Une belle aventure commence. Mais au-delà de son intention de donner une valeur ajoutée à ses bleuets, ce qui rend son aventure encore plus singulière c’est qu’elle a créé une entreprise en parfait accord avec les principes de développement durable. Un travail qu’elle ne fera pas seule, tient-elle à préciser, puisque, dès le départ, elle s’est entourée d’une équipe qui a adhéré d’emblée à ces valeurs.
Il faut quand même prendre un moment occasionnel pour goûter au produit de l’entreprise. On aperçoit, de la gauche, Lisette Paré, chargée de projet et conseillère en vente ; Émilie Gaudreault, marketing, vente et développement des affaires ; et Marie-Michelle Théberge, comptabilité et gestion. (Crédit photo : Charles Olivier B.)
PAS JUSTE ÉCOLOGIQUE
« Je n’avais pas le goût qu’on soit juste écologique, explique Émilie Gaudreault, je voulais qu’on en fasse plus. J’étais déjà convaincue de l’importance du recyclage et du compostage ; ce que je voulais, c’était poser des actions qui adhérent à des valeurs de respect de l’environnement et aussi de respect de mon milieu de vie, et de respect de mes employés. »
Mais comme elle le dit elle-même, ça prend plus que de bonnes intentions pour que ça marche. Elle sait qu’elle a besoin de guide, d’accompagnement et d’une équipe motivée. Alors, en 2017, elle s’inscrit au programme de formation-coaching en développement durable offert par le Centre québécois de développement durable (CQDD) pour comprendre et intégrer les enjeux de durabilité. (C’est ce même programme qu’offre maintenant le programme IMPACT DD de RDÉE Île-du-Prince-Édouard.)
C’est là qu’elle comprend qu’un plan d’action en DD c’est très différent d’un plan d’affaires. « C’est d’avoir une charte des valeurs, dit-elle. C’est un plan de développement bien sûr, mais qui nous permet d’analyser chaque décision de l’entreprise en fonction de ces valeurs, et d’enjeux de durabilité prioritaires pour l’entreprise, et cela de l’approvisionnement jusqu’à l’expédition. »
Et c’est ce qu’elle fait depuis 7 ans. Elle avouera elle-même que la première année est plus difficile : « Ça demande du temps et de l’argent, mais rapidement quand les nouvelles considérations et les actions sont en place, c’est l’inverse, on sauve du temps et de l’argent et ça donne un sens à ce que l’on fait. »
Les dirigeantes de l’entreprise Les Délices du Lac-Saint-Jean n’ont certainement pas peur de travailler ni d’avoir le bout des doigts teints en violet. Au travail, de la gauche, Marie-Soleil Gaudreault, investisseure et conseillère en vente ; Émilie Gaudreault, marketing, vente et développement des affaires ; et Lisette Paré, chargée de projet et conseillère en vente. (Crédit photo : Les Délices du Lac-Saint-Jean)
DE L’APPROVISIONNEMENT À LA LIVRAISON
La première action a été d’analyser la provenance et la qualité des intrants et des valeurs des fournisseurs. Pour les bleuets, pas de problème. Pour la majorité de ce qu’elle transforme, ce sont les siens ou ceux de voisins et ils sont tous biologiques. Pour le reste, comme pour le sucre de canne par exemple, les recherches ont été laborieuses. Une véritable saga. Mais une saga profitable qui lui apprendra une chose essentielle qu’elle appliquera à maintes reprises depuis ce temps : l’importance de l’achat collaboratif.
Voici l’histoire du sucre : son fournisseur habituel n’a pas envie de faire d’efforts pour lui garantir le sucre le plus écoresponsable (soit certifié équitable, en plus d’être certifié biologique) et celui qu’il lui propose n’est pas produit de façon équitable. C’est donc elle qui partira à la recherche d’un fournisseur motivé. Une fois trouvé, la quantité dont elle a besoin est trop petite. Le fournisseur ne peut l’approvisionner. Elle décide donc de contacter des transformateurs de sa région qui font un travail semblable au sein. Au final, ils sont cinq entrepreneurs qui décident de tous s’approvisionner auprès de ce fournisseur et du même souffle, de changer à sucre de canne… pour le sucre le plus écoresponsable sur le marché ! Finalement, avec cet achat collectif, le prix de la poche de sucre passe de 75 $ à 39,90 $! Imaginez presque 50% du prix. Ils épargnent alors 15 000 $ par année! En plus, en réduisant le nombre d’intermédiaires, on réduit le chemin que parcourent ces intrants. Celui veut dire moins de consommation d’essence.
Ce principe de l’achat responsable, en plus d’être groupé ou collaboratif, Émilie Gaudreault l’applique à plusieurs autres intrants, comme la pectine de fruits ou le jus de citron. Pour elle, la collaboration elle-même est devenue un modèle d’affaires qui lui a permis d’innover plus rapidement, donc d’accélérer la croissance de son entreprise.
Elle fera le même travail de réflexion et avec les mêmes résultats pour la livraison de ses petits pots de confitures, de ses sauces, de ses tartes et de ses pâtes de fruits. À ce chapitre, ses efforts et ceux de tout un groupe d’entrepreneurs de la région sont à l’origine d’une entreprise de transport mutualisé, Tournant 3F, qui permet d’économiser temps, argent et essence. Mission accomplie!
UNE ÉCOCEPTION DES EMBALLAGES
Pour l’emballage, l’entreprise n’a rien ménagé pour que cette étape de la production soit, elle aussi en accord avec ses valeurs. En 2017, l’investissement en écoconception des emballages a été un geste important dans l’histoire de l’entreprise. « Ça été l’occasion de refaire notre image de marque, mais aussi d’éliminer les sachets de plastiques et de les remplacer par des sachets compostables faits de maïs. On est la première entreprise de la région qui a fait cela », dit-elle fièrement. Pour les pots de verre, tous les clients peuvent les lui rapporter. Pour les inciter à le faire, Les Délices du lac donnent 1$ par pot rapporté.
Il y a plus d’un an, Les Délices du Lac-Saint-Jean a aménagé dans de nouveaux locaux. L’aménagement a été pensé en fonction de maximiser les économies d’énergie, et cela, du chauffage jusqu’à l’usage de l’eau pour la stérilisation. Surtout, chaque poste de travail a été conçu pour le mieux-être de chaque membre de l’équipe dans l’exécution de ses tâches.
Mais les efforts d’Émilie Gaudreault et de ses deux associées, Lisette Parée et Marie-Michèle Théberge, ne s’arrêtent pas là. En début de réflexion, elle disait qu’elle voulait faire plus et aussi « pour le respect de ses employés ». Elle raconte que régulièrement, avec son monde, elle réfléchit à améliorer les procédés pour rendre l’environnement plus agréable et ergonomique ou simplement moins répétitif. « On m’a souvent demandé pourquoi nous n’automatisons pas certaines tâches avec de la machinerie, raconte-t-elle. On ne fera jamais cela pour faire des gains financiers, alléger le dossier RH et gagner en productivité. On le fera si le besoin se fait sentir et que ça devient une solution à nos pratiques de transformation. Pour le moment ce n’est pas le cas. On est une belle équipe, on travaille ensemble et on évolue ensemble.
Quand Émilie Gaudreault nous dit qu’un plan d’action en DD, c’est autre chose qu’un plan d’affaires, on en prend toute la mesure chez elle. Le bilan est impressionnant. Elle a su créer des regroupements de producteurs pour mutualiser des achats et du transport, s’approvisionner de manière plus responsable, attirer des touristes dans son coin de pays, faire rayonner des produits identitaires québécois, conserver un patrimoine gustatif et réaliser son rêve de donner de la valeur à nos petits bleuets.
Quand elle parle de son entreprise, Émilie Gaudreault ne parle pas que de chiffres et de bilan financier, elle parle aussi d’avenir et de celles et ceux qui viendront après nous. « On fait tout cela en pensant aux 6 enfants de moins de 10 ans qui gravitent autour de nous au quotidien aux Délices. Nous sommes une entreprise de cœur… et nous aimons penser que nous faisons de notre mieux pour eux. »
Source: Errol Duchaine / Projet IMPACT DD